La population mondiale ne cesse de croître et le développement de l'environnement physique de l'homme se poursuit. À l'heure actuelle, nous comptons toujours sur le béton nouvellement coulé comme matériau de construction efficace, solide et relativement peu coûteux, émettant de ce fait des quantités insoutenables deCO2 (on estime à 4 milliards de tonnes de ciment par an, ce qui équivaut à 8 % des émissions mondiales).

Le processus de démolition lorsqu'un bien arrive en fin de vie aboutit le plus souvent à des tas de décombres. L'ampleur des déchets est considérable. Cembureau, l'organisation européenne du ciment, estime que 450 à 500 millions de tonnes de déchets de construction sont générés chaque année en Europe. Aux États-Unis, les experts estiment que le béton pourrait représenter jusqu'à 85 % des déchets de construction. Quel que soit le chiffre exact, tant que l'industrie n'est pas contrainte d'intégrer les externalités du changement climatique, il est tout simplement moins cher, plus rapide et plus facile de tout démolir et de recommencer.

Ces décombres masquent des coûts invisibles. La production de béton est une transaction à sens unique avec la nature, produisant une résistance structurelle précieuse pour un coût considérable en termes d'émissions deCO2. La démolition équivaut à une mise au rebut négligente de cet investissement, sans tenir compte du capital naturel qu'il a fallu pour le produire.

L'ère de la réutilisation

Il est clair que dans un monde post-COP26, une convergence de tendances mondiales, de nouvelles réglementations, de demandes publiques et d'autres facteurs de marché vont forcer une réévaluation des hypothèses de longue date. En tant que concepteurs et ingénieurs de tous types de structures, nous, à l'Arup, sommes de plus en plus concernés par la recherche d'une manière plus durable de produire l'environnement bâti.

Ces dernières années, nous avons assisté à des projets de réutilisation/adaptation vraiment ambitieux et novateurs visant à éviter la démolition. LocHal, un ancien dépôt ferroviaire en Hollande, ou Coal Drops Yard, un ancien site industriel abandonné à Londres, démontrent tous deux comment d'anciennes structures peuvent être réaffectées de manière imaginative. Mais il y a bien sûr des contraintes et des limites à respecter, et toutes les structures ne peuvent (ou ne doivent) pas être conservées. Le déploiement croissant des principes de l'économie circulaire, où les éléments de construction actuels sont conçus pour être réutilisés à l'avenir, est une bonne chose, mais ce n'est encore qu'un début et il reste vrai que seules certaines structures existantes sont susceptibles d'être adaptées à de nouvelles utilisations. Pour beaucoup, la démolition reste une menace.

Ne démolissez pas, déconstruisez !

L'option la plus évidente, et pourtant largement sous-exploitée, est peut-être le recyclage du béton au niveau des composants. Nous savons de mieux en mieux le faire avec l'acier et le bois, alors pourquoi ne pas appliquer ce principe familier au béton, le matériau à l'origine de tant d'émissions ?

C'est là que les choses deviennent intéressantes. Il est évident que la déconstruction d'un bâtiment, une sorte de processus de construction inversé, est considérablement plus coûteuse et plus longue que le simple fait de l'abattre à l'aide d'une énorme boule de métal. Mais si l'on considère l'urgence de l'objectif "zéro émission" auquel chaque organisation doit désormais faire face, les incitations à adopter une nouvelle approche deviennent tout à fait convaincantes.

En gros, elles peuvent être résumées comme suit :

  1. Économies immédiates deCO2. Chaque mètre cube de béton réutilisé peut théoriquement empêcher la coulée d'un nouveau mètre cube, ce qui permet d'économiser plus de 250 kg de dioxyde de carbone. Nous ne pourrons peut-être jamais atteindre cette limite, mais la différence entre les taux de réutilisation théoriques et réels ne fera que se réduire au fur et à mesure que les méthodes de fabrication numérique deviendront plus performantes, ramenant davantage de matériaux réutilisés dans le processus de construction.
  2. Une plus grande stabilité. Le béton réutilisé présente l'avantage d'une plus grande stabilité volumétrique que le béton neuf, car il a résisté au fluage et au retrait lorsqu'il a été mis en place dans sa structure d'origine.
  3. Des résistances éprouvées. L'impossibilité de tester le béton (avant qu'il ne soit coulé) signifie que les structures sont construites avec des facteurs de réduction de la résistance onéreux qui tiennent compte de la variabilité des matériaux. Avec des composants "en stock", les performances peuvent être testées, ce qui constitue une autre occasion d'améliorer les pratiques habituelles.
  4. Préparation à la construction hors site. Les gouvernements et l'industrie préconisent déjà une augmentation de la construction hors site, ce qui, pour le béton, signifie la préfabrication. Une fois de plus, le béton réutilisé présente un avantage : il suffit de le découper à la nouvelle forme sous forme de composants prêts à l'emploi avant de le livrer pour qu'il soit assemblé sur le chantier.

Par où commencer ?

Comme toujours en cas de changement majeur, il peut être difficile de voir où la révolution commencera. À l'heure actuelle, les composants en béton réutilisés ne sont pas la priorité des architectes ou des ingénieurs, et les clients ou les maîtres d'ouvrage ne les réclament pas non plus. Alors, comment encourager ce changement de mentalité et de pratique, pour qu'il s'étende et devienne une norme ?

Mon collègue Kristian Winther a récemment écrit sur la façon dont les outils numériques commencent à intégrer les matériaux recyclés dans leur vision standardisée des composants et des structures, permettant ainsi une évolution significative vers des principes plus proches de l'"économie circulaire". Cela s'applique également au béton. Les concepteurs doivent être en mesure de spécifier des composants usagés si l'on veut que cette pratique soit normalisée, acceptée et répandue.

Les possibilités de réutilisation du béton sont également considérables. Nous ne devons pas nous contenter de l'idée conservatrice selon laquelle un vieux poteau doit devenir un nouveau poteau, aussi plausible soit-elle. Notre objectif est de réduire la production de nouveaux matériaux vierges aussi largement et rapidement que possible, et non pas de faire du "pareil au même". La colonne de béton qui soutenait autrefois le siège d'une banque pourrait devenir une colonne, une pile, une série de blocs de construction ou de modestes pierres de bordure.

Une récente passerelle en béton à Fribourg, en Suisse, réalisée par le laboratoire d'exploration structurelle de l'EPFL, a démontré comment cette idée pouvait prendre de l'ampleur. Des projets exemplaires comme celui-ci sont extrêmement précieux, car ils aident à établir que les risques ne sont pas réels et qu'il s'agit d'une ressource dont nous ignorons tout simplement la valeur.

Une idée gratifiante

Dans le monde des affaires, un vieil adage dit qu'il ne faut jamais laisser "d'argent sur la table". Dans notre secteur, je vois cet adage prendre sa propre forme, avec des propriétaires de bâtiments qui considèrent la coquille de leur ancienne structure existante comme précieuse, financièrement et en termes de réputation. Et qui ne veut pas gagner de l'argent ou construire une marque tout en faisant ce qu'il faut ?

Nos villes regorgent de béton, souvent dans un état aussi bon, sinon meilleur, que le jour où il a été coulé. Il suffit d'un petit changement d'état d'esprit parmi les praticiens du secteur, des investisseurs aux promoteurs en passant par les architectes et les ingénieurs, pour que l'on puisse enfin commencer à appliquer au béton la philosophie "faire une fois, utiliser beaucoup". Notre engagement en faveur de l'objectif "zéro émission" n'exige rien de moins.