La composition des participants à un grand sommet en dit généralement long sur le point d'inflexion qu'a atteint une question mondiale.

La composition des participants à un grand sommet en dit généralement long sur le point d'inflexion qu'a atteint une question mondiale. Lors de la réunion COP15 sur la biodiversité qui s'est tenue à Montréal en décembre 2022, plus de 1 000 entreprises étaient présentes parmi les politiciens et les scientifiques, ce qui montre que la nature et la biodiversité sont devenues des préoccupations majeures pour les dirigeants du monde entier.

Leur présence n'était pas motivée par un simple intérêt pour l'agenda environnemental, bien entendu. Le sommet a débouché sur un accord international historique signé par 190 pays et sur un nouveau cadre mondial pour la biodiversité (CMB). Parmi les nombreux objectifs définis dans le cadre mondial pour la biodiversité figurent de nouvelles responsabilités (et bientôt des réglementations) à l'égard du monde naturel, que les entreprises doivent planifier et auxquelles elles doivent répondre.

Il est vrai que certains des nouveaux objectifs/aspirations de l'accord ne sont pas chiffrés, mais c'est souvent le prix à payer pour parvenir à un consensus dans les accords multilatéraux sur l'environnement. Cependant, le GBF représente une volonté et un élan qui devraient se répercuter sur les législations nationales.

Alors que les tentatives précédentes de fixer et de réaliser des améliorations ciblées en faveur de la nature et de la biodiversité n'ont connu que des succès partiels, le nouveau cadre reconnaît la nécessité d'une sensibilisation constante au niveau national et d'une prise de conscience publique de la nécessité de prendre soin de notre monde naturel. Cette attention sera bien sûr portée non seulement aux gouvernements, mais aussi aux entreprises, grandes et petites.

Comment travailler avec Target 15

Dans le cadre du GBF, la cible 15 signifie que les gouvernements exigeront de toutes les grandes entreprises et institutions financières qu'elles évaluent et divulguent leurs risques, leurs impacts et leurs dépendances vis-à-vis de la nature, par le biais de leurs opérations, de leurs chaînes d'approvisionnement et de valeur et de leurs portefeuilles.

Elle soutient les pratiques et les mécanismes d'information des entreprises, dont certains sont déjà visibles grâce à l'arrivée de la nouvelle législation européenne. Mais comme son nom l'indique, cet objectif est susceptible d'établir des normes mondiales sur la manière dont nous traitons l'environnement naturel. Les entreprises commencent déjà à digérer les risques, les implications opérationnelles, financières et d'investissement, et à se préparer aux impacts réglementaires probables, qui varieront selon les régions et les pays. Dans une économie mondiale où les chaînes d'approvisionnement ont récemment été rompues ou compliquées par la guerre et les sanctions, il s'agit d'un nouveau niveau de complexité à appréhender et à gérer.

Alors que les entreprises s'efforcent de calculer les émissions deCO2 de leurs activités et de leurs actifs, la biodiversité et la nature représentent un défi réglementaire bien plus complexe. À ce jour, nous ne disposons d'aucune mesure commune de la biodiversité. Elle est intrinsèquement complexe, avec une variabilité biogéographique massive à travers les écosystèmes, et une multitude d'éléments à mesurer. Ce qui est considéré comme une "perte ou un dommage" est souvent défini au niveau local. Pour une entreprise ayant une empreinte mondiale, avec par exemple des centres de données ou des intérêts miniers dans différents endroits, il est très difficile de comprendre les risques opérationnels, les impacts et l'exposition à la réglementation.

Simplifier la complexité

Aujourd'hui, des travaux sont en cours pour développer des cadres fonctionnels permettant aux entreprises privées de rendre compte de leurs impacts et de leurs responsabilités en matière de biodiversité. Des initiatives telles que la Taskforce on Nature-related Financial Disclosures (TNFD) et Science Based targets for Nature (SBTN) commencent à aider les organisations à fixer des objectifs, à établir des rapports et à divulguer des informations. À l'Arup, nous contribuons à l'élaboration de ces normes de reporting, grâce à notre travail avec des partenariats formels et stratégiques, tels que SBTN, C40, Global Commons Alliance, Ellen MacArthur Foundation, pour n'en citer que quelques-uns.

Chez Arup, nous permettons déjà aux organisations de planifier et de mettre en œuvre une réponse rigoureuse à l'agenda de la nature. Cette démarche s'appuie sur notre expertise technique, notre expérience approfondie et notre compréhension des nombreux secteurs concernés, ainsi que sur notre capacité à restaurer la nature sur le terrain - ce qui est essentiel pour mettre la nature sur la voie de la régénération.

Pour les entreprises, confrontées à plus de 120 outils émergents et différents pour mesurer la biodiversité, il existe un besoin évident de normes unifiées et crédibles, de sorte que même si les mécanismes et la réglementation ne sont pas encore entièrement définis, les organisations peuvent encore progresser et s'aligner sur ces réalités émergentes.

Pour toute entreprise, cela signifie fondamentalement qu'il faut se demander et comprendre quels sont nos points de contact avec la nature, comment nous
avons un impact négatif sur elle et comment nous pouvons stopper et inverser ce phénomène.

Roy Canavan

Travailler avec ce que nous savons

Il est compréhensible qu'au-delà des réglementations familières relatives à des questions ponctuelles telles que la pollution, peu d'entreprises soient susceptibles d'avoir une compréhension intuitive des implications des services ou des produits qu'elles fabriquent sur la biodiversité. Nous entendons de plus en plus souvent parler de "nature positive" pour désigner l'éthique générale que souhaitent les dirigeants, mais nous ne savons pas toujours clairement ce qu'il faudrait changer pour que cet objectif devienne un élément substantiel de leurs activités. Les données, les mesures et les paramètres nécessaires à ce niveau de comptabilité dans l'ensemble d'une organisation sont sans aucun doute difficiles à obtenir.

Cependant, je pense que, même si les approches nationales en matière de biodiversité sont encore en cours de définition, il existe déjà des principes clairs que les entreprises peuvent adopter dès à présent. Au cœur de la biodiversité se trouvent les changements d'utilisation des terres et des mers, l'exploitation et les dommages, la pollution, les espèces envahissantes et le changement climatique. Pour toute entreprise, il s'agit donc fondamentalement de se demander et de comprendre quels sont nos points de contact avec la nature, comment nous avons un impact négatif sur elle et comment nous pouvons arrêter et inverser la tendance.

Ces questions (et de nombreuses autres liées) soulignent la nécessité de mettre un terme aux hypothèses "hors de vue, hors d'esprit" qui ont souvent fait discrètement partie des longues chaînes d'approvisionnement. La responsabilité doit être assumée de bout en bout, depuis l'extraction initiale jusqu'au consommateur final, en passant par les pratiques opérationnelles. Il s'agit d'un changement radical, mais c'est le seul moyen de garantir que les limites de la planète ne seront pas transgressées.

Un permis d'exploitation

Même si le nouveau cadre n'oblige pas à rendre compte des incidences directes/indirectes sur la biodiversité, son importance n'en reste pas moins implicite. Les entreprises sont clairement tenues d'être transparentes en ce qui concerne les incidences sur la biodiversité, et cette question gagnera du terrain en tant que priorité pour les consommateurs, dans le cadre de la licence sociale d'exploitation d'une entreprise. Les fonds de pension et les autres grands investisseurs considéreront les dommages causés à la nature comme un risque commercial à éviter. Dans le même temps, une législation périphérique faisant écho aux objectifs du GBF commence à émerger au sein de l'UE, avec la directive sur les rapports de durabilité des entreprises et les récentes réglementations sur la déforestation, en vertu desquelles il ne sera plus légal d'importer ou d'exporter dans l'UE tout produit associé à la déforestation ; cela aura des implications significatives pour les opérations directes et les chaînes d'approvisionnement.

Une partie du tableau d'ensemble

Nous pouvons d'ores et déjà constater que les engagements "zéro émission" et la transition dans les secteurs concernés ne seront pas possibles (ou durables) sans la restauration et la protection de la nature. Cela souligne l'urgence d'intégrer la biodiversité dans les politiques et les opérations des entreprises. Chez Arup, nous apportons déjà notre expertise en matière de biodiversité aux programmes sur le climat et la décarbonisation sur lesquels nous travaillons avec nos clients. Nous nous sommes également engagés à évaluer et à divulguer notre impact et notre dépendance à l'égard de la biodiversité d'ici à 2030, dans le cadre de la coalition Business for Nature, qui compte plus de 1 000 signatures d'entreprises dans le monde entier. Ces tendances doivent s'accélérer.

Enfin, au sein de la fraternité écologique, nous avons peut-être passé trop de temps à nous parler à nous-mêmes de la crise de la biodiversité et, en fin de compte, à ne pas nous engager de manière significative au-delà des impacts immédiats de la perte de biodiversité. L'accord du GBF réunit les publics qui ont besoin de saisir son message. Dans tous les secteurs d'activité, il faudra adopter un état d'esprit plus solidaire et socialement responsable, qui permette de relever des défis difficiles, mais aussi de débloquer de nouvelles opportunités et de vivre en harmonie avec la nature. Une nouvelle ère marquée par des collaborations peu communes, avec de nouveaux partenaires et l'adoption de nouvelles pratiques et priorités, sera nécessaire si nous voulons réaliser le changement transformationnel dont notre planète a besoin.